Le 22 janvier 2024, l’Ambassadeur Fu Cong, Chef de la Mission de Chine auprès de l’UE, a accordé une interview exclusive à Kevin Whitelaw, Chef du Bureau de Bloomberg à Bruxelles, et à son collègue Tom Hancock.

Bloomberg : L’UE a évidemment beaucoup parlé du « derisking ». C’est devenu un mot nouveau. Je voudrais vous demander ce que cela signifie pour vous et à quel point vous êtes inquiet lorsque vous entendez des officiels européens, puis des dirigeants européens, et maintenant des dirigeants américains adopter ce même langage？.

Fu Cong : À vrai dire, cette stratégie de réduction des risques a ce que j’appelle un effet modérateur sur les relations Chine-UE. Nous comprenons pleinement le souhait des pays européens de renforcer leur sécurité économique. Il n’y a aucun problème avec cela. Mais la question est de savoir où l’on trace la ligne ? Où se situent les limites ? Comment trouver un juste équilibre entre l’économie et la sécurité ? À mon avis, c’est une question à laquelle les gens doivent réfléchir davantage. En ce qui nous concerne, nous pensons que pour jouer un rôle plus important, l’Europe doit avoir une économie forte. Une économie forte n’est possible que si elle reste ouverte au monde extérieur. L’Europe a été un fervent défenseur de la mondialisation et de l’économie libre, mais franchement parlant, nous voyons aujourd’hui chez elle beaucoup de repli sur soi et de protectionnisme. Je ne crois pas que cela profitera à l’UE. Voilà mon point de vue sur le derisking.

Bloomberg : Vous y voyez donc davantage une stratégie politique différente qu’un besoin légitime de protéger les chaînes d’approvisionnement et d’autres aspects de l’économie ?

Fu Cong : Comme je l’ai dit, nous comprenons le souhait de maintenir la sécurité économique, mais les limites doivent être très clairement définies. Si vous allez trop loin, vous ne ferez que nuire à votre propre économie. C’est ainsi que nous voyons les choses. Les gens parlent du succes story de la Chine depuis son ouverture il y a plus de 40 ans. L’un des enseignements les plus importants est que si vous voulez développer votre économie, vous devez vous ouvrir. La fermeture ne peut que porter atteinte à l’économie. Vous ne pouvez que vous nuire à vous-même si vous essayez de tenir les autres à l’écart, en pensant que vous protégez vos entreprises et votre économie. Je ne crois pas que vous puissiez y parvenir. L’UE doit en prendre conscience. Mais en réalité, si l’on regarde les mesures qu’elle a adoptées, par exemple le filtrage des investissements, on a l’impression que tout semble nuire à la sécurité de l’UE. Si vous excluez tous les investissements du monde extérieur, en particulier de pays comme la Chine, je ne crois pas que vous puissiez vraiment prospérer économiquement. 

On parle également du contrôle des exportations de haute technologie. En ce qui concerne la coopération technologique, j’ai rencontré un certain nombre de scientifiques et d’universitaires. Le message qu’ils nous ont transmis est que la coopération scientifique entre la Chine et l’UE est aujourd’hui à double sens. Si vous bloquez toute coopération avec des scientifiques chinois, ce ne sera pas bon pour la Chine, et vous serez également perdants. 

Un autre aspect important est le contrôle des investissements sortants. À mon avis, cela va bien au-delà du derisking. Comment pouvez-vous maintenir votre propre sécurité économique ou réduire les risques en interdisant les investissements dans d’autres pays ? Pour toutes ces entreprises de haute technologie, si elles renoncent à un marché aussi immense que la Chine, je doute vraiment de leur possibilité de prospérer longtemps. Je ne trouve pas cette décision judicieuse. Je suis heureux de constater que les États membres résistent aux efforts de certains officiels de la Commission européenne dans ce sens. J’espère que la raison et le bon sens l’emporteront sur ce sujet, car nous voulons une coopération gagnant-gagnant avec l’Europe. En limitant les investissements mutuels et les exportations de haute technologie, nous nous retrouverons dans une situation perdant-perdant, ce qu’aucun d’entre nous ne souhaite voir.

Je voudrais également profiter de cette occasion pour souligner la grande importance que la Chine attache à ses relations avec l’UE, car comme nous le disons tous, le monde entre dans une période très turbulente. Nous voyons toutes ces tensions géopolitiques. Pour nous, l’Europe est une grande puissance sur la scène mondiale, tant sur le plan politique que sur le plan économique.